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Karim Ghariani

LP1 tunisienne, saison 2020/2021 : le foot est mort ... vive le foot


Les supporters du CS Chebba qui manifestent contre la décision de la FTF . Crédit : BBC

Course au titre sans grand suspens, changements d’entraineurs quasi-hebdomadaires, scandales extra-sportifs : les saisons se suivent et se ressemblent en Ligue 1 Pro tunisienne. Dans un exercice au calendrier serré et au rythme infernal, le spectacle proposé par les 14 équipes a, une nouvelle fois, été en-dessous des attentes. Alors que le championnat tunisien arrivait jusque-là à placer au moins une équipe par saison dans les derniers tours des compétitions africaines, son niveau général semble se dégrader au fil des années. Décryptage de cette saison 2020/2021.


Une toute-puissance de l’Espérance …


Cela est désormais une habitude depuis la saison 2016/2017 : l’Espérance de Tunis s’est adjugée le titre de champion de Tunisie à quatre journées de la fin, avec une avance confortable de 11 points sur son dauphin, l’Etoile du Sahel. Peu flamboyante dans le jeu, et donnant parfois l’impression de reposer sur des exploits individuels de ses joueurs clés, la formation sang et or n’a pourtant pas eu à forcer pour glaner le 31e trophée de LP1 de son histoire.


Cette supériorité du club de la capitale s’explique tout d’abord par une stabilité institutionnelle dont aucun autre club tunisien ne bénéficie. Au niveau de sa gouvernance, l’EST est dirigée depuis 2007 par un président-mécène fort, en la personne de Hamdi Meddeb. En plus des dix titres de LP1 et des trois Ligue des Champions de la CAF remportés depuis son arrivée, l’homme d’affaires tunisien a surtout permis à l’Espérance de se démarquer de ses concurrents locaux à travers un modèle économique viable et une gestion pérenne, s’expliquant en grande partie par son investissement financier au sein du club de Bab Souika. Alors que ses concurrents font face à de nombreuses crises institutionnelles et financières qui freinent leur progression sportive, peinant même à assurer le paiement des salaires de leurs joueurs et de leur staff, le club de la capitale bénéficie quant à lui des ressources nécessaires lui permettant d’évoluer en toute sérénité.



Hamdi Meddeb décoré par l'ancien président de la république Beji Caid Essebsi. Crédit : Tunisie Numérique

Cette stabilité institutionnelle permet également au « Taraji » de se démarquer de ses concurrents locaux par une stabilité sur le plan sportif. A l’image des récentes prolongations de contrat de ses stars Hamdou Elhouni et Mohamed Ali Ben Romdhane, l’Espérance a montré qu’elle était capable de garder ses meilleurs éléments en revalorisant leurs contrats à la hausse à travers des émoluments qui n’ont rien à envier aux championnats européens ou aux pays du golfe. Cela lui permet donc d’assurer une continuité qualitative au niveau de son effectif, bénéficiant d'un groupe large et capable de se battre pour les compétitions locales et continentales. Cette qualité au niveau de l’effectif a d’ailleurs permis à l’équipe de se sortir de situations compliquées à plusieurs reprises, à travers des exploits individuels qui sont venus débloquer des rencontres poussives. Nous retrouvons également cette stabilité sportive au niveau du poste d’entraineur. Souvent critiqué, le technicien Mouine Chaabani est à la tête du club depuis le mois d’octobre 2018. Fait rare sur le continent africain, et encore plus en Tunisie, Chaabani a jusque-là bénéficié de la pleine confiance de ses dirigeants, s’expliquant notamment par les deux titres de Ligue des Champions de la CAF remportés en 2018 et 2019, ainsi que des quatre titres consécutifs de LP1.


… expliquée par une faible concurrence ?


Cette toute-puissance du club sang et or reste néanmoins à nuancer. Touchés par des crises de gouvernance et des problèmes financiers, les concurrents nationaux de l’Espérance sont les premiers responsables de leur situation, et leur retard par rapport au quintuple champion en titre s’explique surtout par leur gestion désastreuse et leur amateurisme. Lorsque l’on prend l’exemple des trois clubs tunisiens devant normalement concurrencer l’EST pour le titre de champion, nous retrouvons une Etoile du Sahel surendettée avec une grande instabilité au niveau de sa gouvernance, un Club Sportif Sfaxien lui aussi en proie à de grandes difficultés financières et dont les dirigeants enchainent les décisions absurdes, et enfin un Club Africain dont le pronostic vital était entamé il y a encore quelques mois.


Cette saison, alors que l’Etoile a réalisé quatre mois de très haut niveau sous les ordres de Lassad Dridi, arrivant notamment à battre l’Espérance sur sa pelouse, le club a néanmoins été ralenti par de nouvelles décisions hasardeuses de ses dirigeants. Sans entraineur durant toute la (courte) préparation estivale, le club a finalement nommé le technicien brésilien Jorvan Vieira à la tête de l’équipe et à seulement quelques jours du premier match de championnat. N’ayant aucune connaissance du contexte étoilé, Vieira a rapidement commencé à enchainer les erreurs de communication et les choix discutables, son passage à la tête de l’ESS se soldant sans surprise par un échec entrainant un retard important sur le plan comptable pour le club du Sahel. Un scénario semblable a eu lieu du côté du Club Sportif Sfaxien, où le coach tunisien Anis Boujelbene a été remercié alors que l'équipe était encore en course pour la qualification en CAF CL. Les dirigeants sfaxiens ont alors nommé le technicien espagnol Pepe Murcia, dont le passage s’est soldé par un nouvel échec retentissant, effectuant l’une des pires phases retour de LP1 dans l’histoire du club. Il a depuis été remercié à son tour après tout juste deux mois sur le banc des bianconeri.


Anis Boujelbene (à droite), qui a tenu les rênes CSS avant d'être remplacé par Pepe Murcia. Crédit : Mosaïque FM

Ces deux cas nous montrent que le règne de l’Espérance, en plus de s’expliquer par sa puissance financière, sa gestion efficace et sa bonne santé économique, trouve également sa raison dans le sabordage de ses concurrents directs. Nous pouvons d’ailleurs remarquer que le club sang et or souffre également de cette situation, puisque le championnat tunisien ne peut plus servir de baromètre à une équipe qui se retrouve en difficulté dès que le niveau s’élève en Ligue des Champions de la CAF.


Une homogénéisation inquiétante ?


2 : voici le nombre de points qui séparaient le premier relégable, le CA Bizertin, au 7e du classement, l’US Monastir, avant la dernière journée de LP1. Ainsi, sept équipes étaient concernés par la course au maintien avant cette 26e journée, soit la moitié des formations évoluant dans le championnat tunisien de première division. D’autre part, seuls 11 points séparaient la 13e place, relégable, de la 4e place, potentiellement qualificative à une compétition africaine … soit autant que le nombre de points qui séparaient le leader espérantiste de son dauphin étoiliste. Si cet écart peut paraitre anodin à première vue, il dénote néanmoins d’une homogénéisation certaine du niveau global de la LP1. Homogénéisation … ou nivellement par le bas, qui s’explique en partie par le contexte particulier d’une saison au calendrier extrêmement serré et par un rythme non-adapté au contexte de la Ligue 1 Professionnelle tunisienne.


Avec des effectifs limités quantitativement pour la grande majorité des clubs, une préparation physique inadaptée et des joueurs qui ne sont pour la plupart pas conditionnés pour une telle cadence, ainsi que des pelouses ne pouvant accueillir des rencontres tous les 3 jours, la LP1 s’est retrouvée cette saison à la limite de l’implosion. Cette implosion est d’ailleurs symbolisée par un autre élément singulier : tous les clubs, hormis l’Espérance de Tunis, ont changé d’entraineur au moins une fois lors de la saison 2020/2021. Ainsi, plus d’une vingtaine de changements d’entraineurs ont eu lieu en LP1 en l’espace de quelques mois, avec certaines équipes allant même jusqu’à avoir 4 techniciens différents. Ces nombreux changements s’expliquent principalement par des conditions de travail allant du pénible au chaotique, avec des techniciens préférant parfois démissionner de postes pour lesquels ils ne sont plus payés depuis de nombreux mois. Lorsqu’ils décident de poursuivre leur travail, ces mêmes techniciens sont finalement remerciés par leurs dirigeants à la moindre contre-performance. Tous ces changements empêchent toute continuité dans les résultats des équipes, et encore moins la construction de projets s’inscrivant sur un moyen/long-terme. La quasi-totalité des clubs tunisiens se retrouvent donc à naviguer à vue dans une saison aux conditions déjà défavorables.


Lassad Jarda, ancien coach de l'USMo vainqueur de la coupe de Tunisie 2019/2020. Crédit : Africa Foot United

Hormis ces changements d’entraineurs abusifs et l’impact de la crise sanitaire sur le calendrier, cette homogénéisation du niveau s’explique également par des problèmes conjoncturels touchant les clubs importants de LP1. Ainsi, le Club Africain est en proie à une grave crise financière, qui s’est transformée en crise institutionnelle gangrénant la saison du club. Le CA, habitué à jouer les premiers rôles, s’est donc retrouvé à se battre pour sa survie dans l’élite jusqu’à la dernière journée. L’Union Sportive Monastirienne, vainqueur de la dernière édition de la coupe de Tunisie et qui a fini à la troisième place du classement la saison dernière, a également connu une crise de résultats s’expliquant notamment par la perte de plusieurs éléments clés du dispositif du technicien Lassad Jarda, à l’image d’Anthony Okpotu, Emmanuel Agbadou, ou encore Moses Orkuma. L’USMO a également vu son début de saison bousculé par la Coupe de la CAF, compétition dans laquelle elle a perdu des plumes en disputant trois tours préliminaires et en s’inclinant finalement contre le Raja de Casablanca à la porte de la phase de groupes. Lassad Jarda, grand artisan de la saison 2019/2020 exceptionnelle du club, a d’ailleurs fini par démissionner en milieu de saison pour rejoindre le club marocain, dénonçant des conditions inhumaines pour les joueurs et le calendrier infernal auquel son équipe faisait face.


Cette homogénéisation de la LP1 se ressent par ailleurs jusqu’au classement des buteurs, puisque quatre joueurs différents occupent la deuxième place de ce classement avec seulement huit buts au compteur. Le meilleur buteur du championnat, Aymen Sfaxi (Etoile du Sahel), les dépasse d’une petite longueur, et a inscrit 9 petits buts lors de la saison 2020/2021.


Le règne de l’extra-sportif


La saison 2020/2021 de LP1, particulièrement sujette à des scandales extra-sportifs, faisait déjà l’objet de vives protestations avant même de débuter. Ainsi, le club du CS Chebba, qui avait réalisé une saison 2019/2020 de haute volée pour sa première dans l’élite, obtenant son maintien haut la main sur le terrain, a vu la Fédération Tunisienne de Football l’interdire de participer à ce nouvel exercice et à toute autre compétition organisée pour la saison en cours. Le club, qui depuis a fait appel devant le TAS et attend toujours son jugement, aurait selon la FTF présenté un dossier d’engagement incomplet permettant de prendre part aux différentes compétitions, tout en ne payant pas certaines amendes qui lui étaient infligées. Cet argument a néanmoins été sujet à de nombreux débats, puisque le président du CS Chebba, Taoufik Mkacher, était en conflit ouvert avec la FTF tout au long de la saison précédante, critiquant plusieurs fois publiquement la politique de Wadii Jari (président de la FTF) sur la page officielle du club. C’est ainsi que des soupçons de « règlement de compte » entre Mkacher et Jarii sont apparus, avec un problème personnel entre les deux hommes qui se serait répercuté sur le club de Chebba.


L'équipe du Croissant Sportif de Chebba lors de la saison 2019/2020. Crédit : Webdo.tn

Cette suspension du CSC a entrainé la réintégration en LP1 de la Jeunesse Sportive Kairouannaise, normalement reléguée en deuxième division à l’issue de la saison 2019/2020. Clairement en-dessous du niveau requis pour évoluer en première division, la JSK aura à peine tenu jusqu'à la mi-saison avant d’être à nouveau officiellement reléguée, terminant l’exercice avec trois petits points et aucune victoire. Cette relégation survenue très tôt dans la saison a entrainé de nouveaux scandales extra-sportifs, puisque des soupçons de matchs truqués se sont multipliés sur les rencontres de cette équipe qui n’avait alors plus rien à jouer. Une enquête a notamment été ouverte à la suite de la confrontation entre l’équipe kairouannaise et l’US Ben Guerdane le 3 avril dernier, avant laquelle le score exact de la rencontre avait été dévoilé et largement partagé sur les réseaux sociaux. La LP1 est ainsi devenue la cible des plateformes de paris sportifs, avec certaines équipes tunisiennes n'y figurant même plus.


Alors que le championnat tunisien semble régresser au fil des années, il reste néanmoins primordial de prendre en compte le contexte très particulier de la saison qui vient de s’achever au moment d’établir un bilan général. Il est cependant nécessaire que les instances tunisiennes prennent conscience du retard qu’est en train d’accumuler la LP1 par rapport à ses concurrents africains, en trouvant les solutions adéquates pour des clubs qui accumulent les dettes, ne parvenant plus à être compétitifs. Alors que le changement du statut de ces clubs est un débat qui revient progressivement sur la table et qui semble plus que jamais indispensable, c'est une réflexion globale sur le modèle de développement du football tunisien qui s’impose aujourd’hui.


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