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Karim Ghariani

Les jeunes binationaux : stratégie de développement ou symbole d’appauvrissement ?


Demi-finaliste de la dernière Coupe d'Afrique des Nations, la Tunisie a toujours bénéficié à travers l'histoire d'une équipe compétitive sur le plan continental, capable de rivaliser avec les plus grandes nations africaines, et ce malgré des noms moins clinquants que ceux de ses concurrents. Aujourd'hui, les Aigles de Carthage se retrouvent cependant à un carrefour important de leur histoire moderne, avec une génération qui arrive sur sa fin, et une nécessité de renouveler un effectif qui s'apprête à faire face à deux défis de taille : la CAN 2021 et le Mondial 2022, pour lequel la qualification est primordiale. Face à cette problématique, la FTF a depuis peu mis en route une nouvelle politique consistant à attirer des jeunes binationaux à fort potentiel afin d'en faire, à court ou moyen terme, des renforts pour l'équipe première. Décryptage.


Un vivier de moins en moins qualitatif Aymen Abdennour : voici le nom du dernier joueur formé en Tunisie qui est parvenu à s’imposer dans un championnat du top 5 européen. Enfant de l’Etoile du Sahel, qui bénéficie de l’une des meilleures académies du continent africain, le défenseur central a notamment disputé la Ligue des Champions avec l’AS Monaco et le FC Valence après 2 saisons de grande qualité sous les couleurs du Toulouse Football Club. Avant lui, des joueurs comme Radhi Jaidi, Hatem Trabelsi, ou encore Karim Haggui ont connu de très belles carrières sur le vieux continent avec des trajectoires similaires. Le contraste est alors d'autant plus saisissant lorsque l'on compare ces éléments avec la situation actuelle des joueurs tunisiens issus du championnat local. Ces derniers ne parviennent aujourd'hui plus à s’exporter, si ce n'est dans les pays du Golfe, ou au mieux dans des ligues européennes de « seconde zone ». Cette situation s’explique tout d’abord par un championnat et une formation locale qui connaissent une nette dégradation depuis près d’une décennie, avec des infrastructures en grande partie obsolètes et des clubs qui investissent très peu dans le développement des jeunes catégories.

Paradoxalement, les plus grands clubs du pays connaissent quant à eux une croissance toujours plus importante de leur masse salariale, parvenant à offrir à leurs meilleurs éléments des émoluments proches du niveau européen afin de les convaincre de ne pas céder aux appels du vieux continent. Pour les lâcher, les clubs tunisiens demandent alors des sommes que les clubs européens ne sont pas prêts à investir, au contraire des grosses écuries saoudiennes, qataries ou même égyptiennes. Cela s’explique notamment par le fait que la valeur du joueur tunisien s’est elle aussi détériorée sur le marché européen ces dernières années. Le peu de joueurs qui se sont exportés en Europe n’ont pas donné satisfaction et ont malgré eux participé à l’entretien de cette mauvaise image.



Bassem Srarfi sous les couleurs de l'OGC Nice

L’exemple le plus significatif est peut-être celui de Bassem Srarfi : transféré du Club Africain à l’OGC Nice en 2017 à l’âge de 19 ans, le jeune ailier n’a jamais su progresser et montrer l’étendue de son talent en trois saisons, malgré un temps de jeu significatif pour son âge et une certaine confiance accordée par Lucien Favre puis Patrick Vieira. Récemment transféré au club de Zulte Waregem, le joueur peine encore à s’imposer en Pro League belge. À titre de comparaison, les joueurs algériens formés au pays ont grandement bénéficié de la réussite du transfert de Youcef Atal à Courtrai puis à l’OGC Nice, avec des jeunes comme Hichem Boudaoui qui ont ensuite connu le même chemin.

Face à cette situation, les meilleurs éléments locaux se retrouvent à stagner pendant plusieurs saisons au sein d’un championnat dans lequel ils surnagent, et peu d’entre eux évoluent au plus haut niveau toutes les semaines. À terme, cela risque donc de se ressentir sur le niveau de la sélection nationale, qui se retrouve contrainte de chercher des solutions alternatives afin d’essayer de réduire l’écart avec ses concurrents au niveau de la qualité du vivier disponible. Alors que toutes les nations africaines qui prétendent jouer les premiers rôles à la CAN et se qualifier pour la Coupe du Monde bénéficient aujourd’hui de plusieurs éléments évoluant dans les plus grands championnats voire les plus grands clubs, la Tunisie n’a aujourd’hui d’autre choix que d’innover. Une stratégie viable ?


La nomination de Slim Ben Othman au poste de directeur sportif chargé des joueurs expatriés en début d’année indique clairement la nouvelle marche à suivre, et la volonté de la fédération de ne louper aucune future pépite qui aurait la possibilité de porter les couleurs de la Tunisie. Ce poste consiste principalement à effectuer de la prospection de jeunes binationaux susceptibles de renforcer les différentes catégories de la sélection, et d’assurer le suivi de ces différents dossiers. Ben Othman, en tant qu’ancien joueur ayant évolué dans quatre championnats européens différents, est donc chargé de présenter à ces jeunes un projet individuel selon leur âge et leur capacité à intégrer la sélection à court ou long terme. Son jeune âge (30 ans) est également un atout pour ce poste, puisqu’il est primordial que le discours présenté aux joueurs soit audible et qu’il y ait une véritable relation de confiance entre les parties. Ce poste parait donc aujourd’hui nécessaire lorsque l’on connait les nombreuses problématiques auxquels font face aujourd’hui les Aigles de Carthage, ainsi que l’écart qualitatif qui les sépare des plus grandes nations africaines.

Mohamed Slim Ben Othman, directeur sportif chargé des joueurs expatriés

Cependant, il est également nécessaire que cette stratégie ne soit pas surexploitée. Malgré les carences à certains postes, voir la sélection tunisienne s’appuyer d’ores et déjà en équipe première sur des éléments très jeunes n’ayant jamais joué le moindre match professionnel pose plusieurs questions. Aujourd’hui, un joueur comme Marc Lamti, pensionnaire de l’équipe réserve de Hannovre et qui ne compte aucun match en pro, est devenu un habitué des listes du sélectionneur Mondher Kebaier. Même chose pour Hamza Rafia, qui évolue avec la Primavera de la Juventus et qui prétend même à une place de titulaire dans le onze tunisien. D’autres noms comme Omar Rekik (Hertha BSC II) ou Nabil Makni (Chievo Verona Primavera) ont récemment été convoqués par le staff technique qui semble vouloir les intégrer de façon durable en équipe première. La question est alors de savoir si, comme Marc Lamti en 2019, ces éléments pourraient être convoqués pour disputer des échéances importantes, et si la Tunisie peut aujourd’hui se permettre de se présenter à une grande compétition avec des joueurs qui ne comptent aucun match officiel dans le monde professionnel. Entre présent et futur


Cela soulève également la question de la valeur et du caractère « sacré » d’une convocation en sélection nationale, puisqu’il suffit aujourd’hui d’être un jeune à fort potentiel pour pouvoir porter le maillot des Aigles de Carthage. Au contraire, des joueurs qui évoluent toute leur carrière dans le championnat local auront beaucoup moins de chance d’être convoqués malgré des saisons pleines, et surtout une grande connaissance du contexte africain, avec tout le poids que cela peut représenter dans une compétition comme la CAN. Le meilleur exemple dans ce cas est celui de Maher Hannachi, joueur polyvalent doté d’une très grande expérience, ayant disputé la Ligue des Champions de la CAF et la Coupe de la Confédération à plusieurs reprises, qui a pourtant été écarté de la liste pour la CAN 2019 au profit de Marc Lamti, alors qu’il sortait d’une saison exceptionnelle avec l’Etoile du Sahel. Lors de cette même édition 2019, parmi les meilleurs joueurs de la compétition figuraient notamment les algériens Youssef Belaili et Baghdad Bounedjah, deux joueurs qui ont évolué dans le championnat tunisien pendant plusieurs années et qui n’ont jamais joué en Europe*. Cela démontre donc bien l’importance de ne pas brûler les étapes afin de ne pas rendre cette stratégie des jeunes binationaux contre-productive, en les intégrant trop tôt au détriment d’autres joueurs qui pourraient avoir un apport bien plus significatif dans un contexte spécifique.

Maher Hannachi sous les couleurs de l'Etoile du Sahel

Récemment, Mohamed Slim Ben Othman, symbole de ce nouveau cap, déclarait sur les ondes de la radio Mosaïque FM : "la volonté est d'attirer des joueurs avec un grand potentiel à un âge qui permettrait à la sélection d'être compétitive, mais qui leur permettrait à eux aussi d'être plus médiatisés, ce qui en fait une stratégie gagnant-gagnant pour les deux parties". Si la mise en place de cette stratégie commence d’ores et déjà à porter ses fruits avec notamment le très prometteur Anis Ben Slimane (19 ans, Brøndby IF) qui vient d’opter pour la Tunisie alors que le Danemark le considérait également comme un grand espoir, il est également important d’être très prudent et de ne pas confondre futur et présent. Bien que cette nouvelle politique demeure incertaine à ce stade, dans le sens où rien ne garantit le succès de la carrière de tel ou tel joueur dans le futur, encore moins sur le plan international, la FTF a aujourd’hui le mérite de réfléchir à des alternatives devant contribuer à combler le probable manque à venir sur certains postes clés. Qualifier d’ores et déjà cette stratégie de réussite ou d’échec serait donc présomptueux, tant cette dernière doit s’inscrire sur une très longue période afin que l’on puisse en juger l’impact. *Youssef Belaili a bien signé au SCO d'Angers en 2017 mais n'a jamais disputé la moindre rencontre avec le club

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